Je lis La Forme d’une ville, de Julien Gracq. L’ouvrage, à l’ancienne, impose que je déchire ses pages avec un coupe-papier. Preuve supplémentaire que cette écriture complexe se mérite. L’effort du geste prépare à la concentration. Bien avant de noircir des feuilles volantes sur la ville de son adolescence, l’Angevin écrivit : « Le cœur de Nantes battra toujours pour moi avec les coups de timbre métalliques des vieux tramways jaunes virant devant l’aubette de la place du Commerce, dans le soleil du dimanche matin de mes sorties — jaunet et jeune, et râpeux comme le muscadet. » Le tramway a changé de couleur et le muscadet gagné en qualité.
Beaucoup de médias, dont Télérama, ont raté le Van. Comprenez le Voyage à Nantes. Rien dans ses colonnes sur la portion de façade signée Leandro Erlich qui défie les lois de la gravité place du Bouffay. Une vision surréaliste, surtout au crépuscule, sous la bruine, qui aurait séduit André Breton : « Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine », écrivait-il en 1928. Ratage ou excès de parisianisme ? Rien sur cet « archipel d’îlots changeants », comme l’appelait Jules Verne, qui investit dans une culture détonante et détonnante quand nombre de villes font grise mine. L’air de l’amer ne souffle pas sur Nantes, passée, comme l’a joliment écrit le philosophe local Jean-Claude Pinson, « du prolétariat au poétariat »