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Je suis sarthoise, j’aime les oiseaux et Dominique A, donc clin d’œil à cette chorale de collégiens de Sablé-sur-Sarthe qui a repris le morceau mythique du chanteur ! (merci à Olivier F. pour l’info)
À lire dans le numéro 45 de Parallèle(s), mon texte sur Dominique A, en concert le 17 décembre à l’Espace Malraux, à Joué-lès-Tours.
Le nouveau titre du grand Dominque A filmé au très grand Mucem, à Marseille.
Je me suis longtemps demandé si les deux idoles de ma vie allaient un jour se rencontrer. Daho et Dominique A ont fini par se croiser. Et Daho le séducteur a courtisé le grand chanteur modeste. Le Rennais (qui ne l’est pas mais les journalistes aiment bien simplifier) a inspiré le Nantais (qui ne l’est pas mais les journalistes aiment bien simplifier).
Il y a quelques mois, quand j’ai écouté le tube teaser des Chansons de l’innocence, martelé sur les ondes, je me suis dit comme d’habitude, ah ben ça c’est du Daho, du Daho facile et évident qui devient addictif sitôt franchi le pavillon (auditif, je déteste les pavillons sinon).
Et puis à force d’écoute compulsive, je me suis montrée moins sévère. Pas si facile de faire évident, finalement. N’est-ce pas le propre du tube ? Qui peut se targuer de les enchaîner pendant des années sans trop s’user ? Après tout on s’en fout pourvu qu’on ait l’ivresse.
Daho a joué un rôle essentiel dans ma jeunesse. Dès l’âge de 13 ans, j’ai mangé, dormi et pensé Daho, et ce pendant une bonne dizaine d’années, sans faillir, au risque d’en désoler mon entourage et le papier peint de ma chambre. Au point de lui écrire, de lui poster des colis, dont un l’a fait réagir : Satori à Paris, un livre qu’il recherchait au moment de l’album éponyme et que je lui avais déniché.
Un soir, alors que nous mangions une galette des rois en famille, il a téléphoné chez mes parents. J’ai répondu la bouche pleine (Dieu merci je n’avais pas la fève !). Nous avons discuté quelques minutes, il m’a remerciée et invitée à un concert au Mans, où je grandissais alors. Nous avons échoué en backstage, comme on dit dans le milieu, avec Anne Claverie, sa manager de l’époque, dont la tâche ingrate était de le protéger au plus fort de sa carrière. Jamais hystérique, encore moins midinette, je parvenais toujours à mes fins, allez comprendre pourquoi. Je m’en étonne encore 25 ans plus tard. Des coups de fil d’Etienne, il y en eut quelques autres sur cette décennie, heureux ou malheureux, dont un fossilisé sur une mini-cassette de dictaphone.
Tant et si bien qu’il fut même sérieusement question que j’en sois la première biographe. Un coup de fil à Fabrice Nataf, chez Virgin à l’époque, et nous étions reçus, mon ami Hervé (qui avait sur moi un avantage indéniable : il était majeur) et moi, pour présenter un synopsis tapé à la machine par une tante attendrie et serviable (que je remercie encore au passage). Ce soir-là, nous l’avions suivi jusque sur le plateau d’une émission de… Sacrée soirée. Sacrée soirée pour le coup, et il y en eut quelques autres, la plus étonnante étant cet after passé au bar de l’hôtel Concorde du Mans, toute la nuit à discuter. Mineure, j’étais condamnée au jus de raisin pendant qu’Hervé sirotait ses bières. Un souvenir conservé en lieu sûr dans mon cerveau saturé (ne pas déranger), immortalisé sur cette photo d’où j’ai jugé raisonnable de me faire disparaître… Et la seule fois où mon père m’a tancée, de retour au petit jour.
N’empêche que le synopsis, que je feuillète parfois de temps en temps, tenait la route. Quand je compulse aujourd’hui les hors série divers et variés qui sortent sur un Daho en pleine renaissance, je me dis que la base y est. A force d’immersion (j’achetais tout, j’écoutais tout, je lisais tout), nous avions perçu la quintessence du bonhomme, dont la sensibilité et la culture musicale et littéraire ont construit en partie les miennes. Plus tard, nous avons même eu accès aux archives de sa maison de disque, dont je conserve quelques précieuses reliques parmi ses courriers et cartes postales : bulletin trimestriel, photocopie de carte d’étudiant… J’étais étudiante moi aussi, débutante, mais je faisais de manière instinctive un travail de journaliste.
Seulement, il a eu la trouille et n’a pas eu confiance. Ce que je peux comprendre avec le recul. Il nous a mis Stéphane Davet dans les pattes, déjà journaliste au Monde à l’époque, lequel, d’une grande honnêteté, ne savait pas trop quoi faire de ce qu’il avait appelé « notre bébé ». Nous, on y tenait et nous nous sommes vexés quand on a compris qu’on ne signerait pas l’ouvrage. C’est parti en vrille, nous nous sommes brouillés avec le père Daho. La première bio, sortie peu de temps après, était probablement fidèle, mais elle manquait sûrement de cette flamme et de l’enthousiasme qui nous consumaient. Pas d’avis sur les suivantes ni sur la toute dernière : jamais pu en lire car jamais vraiment pu digérer la déception. Un ratage, des malentendus, un manque d’explications de visu. Trop jeunes, trop innocents, trop d’enjeux. Dommage. Vraiment dommage maintenant que tout ou presque a été dit et redit sur l’ami Daho, prompt à se répéter.
Après une longue période de dédain et de distance toute relative, j’ai jeté mon dévolu fanatique sur Dominique A donc. Plus mesurée certes – j’avais tenté de grandir entre temps – mais avec quelques bons restes au risque de consterner mon entourage (je fonce le voir après chaque concert et lui ai dédié l’un de mes livres !). Et voilà qu’ils ont fini par se croiser. Aux premiers accords, menottée et les yeux bandés, j’aurais pu reconnaître la chanson hybride. MON morceau ! Mon Dahu à moi. Merci monsieur A.
Jeudi dernier, énième concert de Dominique A, mais jamais assez, jamais le même, toujours la même subjugation. Trois nouveaux morceaux dès l’ouverture, dont un magnifique sur cet amour qui viendra de l’Ouest. Texte ciselé, métaphorique, efficace : il y a toujours moyen de s’y retrouver, de ressasser le passé. Ça fait mal et ça fait du bien aussi. On cautérise, on conjure, on radoube. Les vieux outils familiaux ne suffisent pas toujours mais on aime savoir qu’on peut y recourir, dans la vieille trousse posée sur une étagère du sous-sol. Et Jeff, ce bassiste élastique qui jouit et souffre avec sa contrebasse, qui joue de la basse manche à la verticale, en sautant ou en grimaçant. Comme il embrasse son art ! Le chanteur, parfois, coule un regard vers lui et l’on oublie que c’est lui la star.
Dehors, il pleut et il fait noir. La veille, nous étions le 12-12-12 et il ne s’est rien passé de particulier à ma connaissance. Le surlendemain fut beaucoup plus surprenant. Et d’aucuns attendent le 21-12-2012 avec fébrilité. Personnellement, je ne serai pas à Bugarach (d’ailleurs, il sera impossible d’accéder à ce refuge, c’est dire la portée du délire…) mais à Nantes, persuadée, comme Dominique A, que l’amour viendra de l’Ouest, fin du monde ou pas.
« Vous êtes une sacrée tripotée. » Dominique A est comme ça. Il a des sorties parfois un peu désuètes. Je le soupçonne d’en faire exprès, par amour des lettres. La salle à gradins du Lieu Unique était comble pour la première lecture musicale de son roman autobiographique, Y revenir. Le choix de Nantes n’est pas anodin : « Je proteste rarement quand on me présente comme nantais. » Comme il a réglé ses comptes avec Provins, sa ville natale, en allant y chanter ses morceaux pour la première fois, le 4 mars 2011, il semble être ici pour renouer avec la ville où il a fui, adolescent, à la faveur de la mutation paternelle.
Seul face au public et à son pupitre, c’est un écolier qui s’applique pour réciter sa poésie. Tout de noir vêtu, comme toujours sur scène. Il joue de la guitare et promène le bout de ses pieds sur de petits boîtiers dont j’ignore le nom, remplis de boutons. La technologie en renfort fait des miracles : elle fait écho à sa voix, repasse des boucles musicale, la maîtrise est parfaite. A peine l’artiste savonne-t-il parfois dans une lecture plus proche d’un psaume que d’un chant. Et de citer Kazuo Kamimura : « Ce qui marque le plus une personne, ce ne sont pas tant ses expériences passées que les paysages dans lesquels elle a vécu. »
Plus je vieillis, plus je partage son point de vue. J’ai grandi près d’un hypermarché qui a peu à peu vampirisé la campagne mancelle qui nous entourait. Cela fut peut-être déterminant dans ce que je suis maintenant.
Entre les extraits fort bien choisis dans une mise en scène minimaliste, Dominique A nous a offert quelques chansons : moment très émouvant, un titre interprété adolescent qui préfigure ses morceaux futurs, retransmis sur une sound machine et sur lequel il superpose sa voix d’adulte. Une reprise de La Fanette, de Brel, et de l’improbable Partir de Gisor, un titre eighties ingrat qui m’échappa à l’époque et qu’il clamait à tue-tête sur un sentier de Provins. Y revenir donc. Pactiser avec ses origines.
Parfois, il est question d’y aller. Depuis des années, je voulais y aller, au Japon. Par pure fascination : pour la culture, les mangas, la cuisine dans toutes ses composantes (makis, teppanyaki, kaseiki, tempura…), le shinto, la tradition confrontée à la modernité… Cette fois, c’est décidé, avec Hélène, on y va. Dans un mois, on sera à Tokyo (« assises sur une chaise »). Inconscience pour certains, privilège pour d’autres. « On ne nous apprend pas à se méfier de tout… »
Photo : Dominique A en dédicace au Lieu unique © Catherine Levesque