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Ma chronique « Une plume à la page » pour la Web TV du Festival international du film ornithologique de Ménigoute. Artisanal, mais j’y tiens !
Alors que la pluie s’abat et que le vent me fouette sur la place Velpeau, je regarde les étals des poissonniers et je pense au Conquet. Un peu plus bas, au large de la pointe du Raz, vagues et ressac s’étreignent à coup sûr sur l’île de Sein, un beau caillou qui bien souvent subit les assauts conjugués d’Eole et de la houle.
Finis Terræ ou Penn-ar-Bed. Là où le latin voit la fin d’une terre, le breton voit un bout du monde. Question de langage. « La grande presqu’île atlantique de la France », pour reprendre une expression du penseur Kenneth White, semble « distraitement amarrée à la masse continentale » (Julien Gracq). Où qu’il vive, lettré ou pas, tout observateur d’une mappemonde sera tenté de poser le bout de l’index, puis le pied, sur cet appendice terrestre curieux d’aller voir plus loin. On veut y voir l’horizon, mais voilà que des îles s’interposent, sentinelles hésitant entre une identité maritime et un socle granitique.
Poètes et rôdeurs des confins, naturellement aimantés par les extrémités, trouvent un écho dans ses échancrures littorales battues et rebattues par les flots. Le touriste y tutoie la rudesse de l’hiver et de la tempête. N’y perçoit que la verticalité parfaite des phares, rassurantes vigies, n’entend que les cris des goélands, le ressac hypnotique, le bruit des drisses sur un vieux gréement.
Tonnerre de Brest ! il respire à pleins poumons ce fameux air marin, fait le plein d’iode qui nous fait si souvent défaut. Comme si la puissance des marées et la tonicité du vent balayaient le vague à l’âme du citadin au bout du rouleau. Un séjour dans une île et il sera bientôt remis à flot. Oui mais voilà, laquelle choisir ? On implore Tiersen ou Miossec de nous venir en aide. Ile mystérieuse, île aux trésors, île déserte, une île à soi, ça se mérite. La trouver, c’est déjà mieux se connaître.
Antichambre de la civilisation ou ultime refuge pour Robinsons modernes, l’île demeure le support idéal du rêve et des possibles. Ile mystérieuse, île aux trésors, île déserte : quel bout du monde choisir ?
> Spéciale dédicace à Cécile B. pour son anniversaire, en souvenir de vacances au Conquet en plein mois de janvier.
Merci à MHAD, mes artistes bretons préférés, pour l’image qu’ils ont bien voulu me confier en illustration de ce post.
A vrai dire il faut le savoir que c’est une île, quand on remarque à peine le pont qui la relie au continent. Presqu’île serait plus juste. On passe le moulin, où vit le maire de la ville où j’ai grandi. Et on est vite dans le bourg de granite. Avant, il aura fallu traverser la Bretagne en crabe, de Nantes à Lannion en passant par Rennes, via Redon, Bruz, Lamballe, Saint-Brieuc, Plouaret-Trégor…
Sur la côte, je guette des yeux le moment où l’archipel apparaîtra. Surtout le caillou blanc, Rouzic, où s’affairent encore 22 000 couples de fous de Bassan, chacun autour de son poussin. Ils repartiront bientôt au large, comme l’ont déjà fait les macareux. La réserve naturelle des Sept-Iles, qui les protège, fête cette année ses cent ans et j’y ai fait mes premières armes de bénévole il y a 23 ans déjà.
Saurais-je retrouver le chemin de la maison de Kenneth White, où j’ai échoué un beau jour, mémorable ? Humble et souriant, il m’avait accueillie comme un vieille connaissance dans son fascinant Atelier atlantique et nous avions échangé une matinée entière. Je l’ai écouté récemment sur France Inter parler d’André Breton. Je partage sa vision de la Géopoétique, « une théorie-pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport Homme-Terre depuis longtemps rompu, avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique et intellectuel, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde refondé. »