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J'anime un 2ème blog dans lequel je propose une sélection de sites Web, de vidéos et d'articles divers trouvés sur Internet.
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    Panneau hippomobileUne balle perdue dans une vitre, un sanglier sous le TGV, un système de freinage égaré sur la voie, un vol de fibre optique, une panne de moteur qui a duré des heures… J’ai connu beaucoup de vicissitudes avec la SNCF. Mais l’émeute au guichet, je n’avais jamais fait.

    Je rembobine. Juste avant d’arriver en gare, le contrôleur de l’omnibus Bourg-Saint-Maurice-Lyon nous annonce l’air de rien que l’on circule avec 10 minutes de retard. Un coup d’œil sur ma montre Seiko à quartz. Sans que l’info ne passe par la case cerveau, je pressens avec l’instinct du voyageur maintes fois pigeonné que je vais le louper, bon sang, mon TGV.

    D’un pas décidé, je file trouver le contrôleur indolent dans sa niche, m’enquiers de la correspondance. La sentence tombe : « Un TGV n’attend jamais, Madame. » Je me demande s’il s’agit d’une facétie de contrôleur insolent. Trois minutes pour aller d’un quai à l’autre, à Lyon-Perrache, avec un Mac sur le dos, un reblochon fermier, du saucisson non dégraissé, du jambon cru, une mignonnette de génépi, du beaufort d’alpage, un Opinel n° 10 (merci Sarah), une paire d’après-ski, c’est pas gagné (y’en a qu’ont essayé à Pau, ils ont eu des problèmes…).

    Le contrôleur redevenu indolent semble découvrir sous la menace de mon regard l’usage du téléphone portable, finit par annoncer sans conviction les correspondances IMMÉDIATES en précisant aux usagers – luxe suprême – le numéro du quai concerné.

    J’embrasse Franck comme si j’allais sauter en parachute avant de bondir lourdement sur le marchepied, entamant ma course folle vers la voie A. Ce serait dommage, je songe en moi-même, de se fouler une cheville en dévalant une rampe à Lyon-Perrache alors qu’une chute spectaculaire sous un télésiège m’a laissée indemne aux 3 Vallées. Et de maudire intérieurement toute personne en travers de mon passage d’exister.

    Je touche à mon but, j’aperçois le TGV à quai mais la longue plainte du train sonne comme un glas. Le long serpent gris est à l’arrêt. Je touche la porte comme si mon empreinte digitale était dotée d’un superpouvoir. Forcément, elle va s’ouvrir. Nous sommes cent sur le quai à le désirer très fort, chacun usant d’un superpouvoir à sa mesure – injonction, tambourinage viril, supplique ou invective. Sous nos yeux incrédules, le TGV s’ébranle et le visage des deux contrôleurs inopérants se décompose. Ils sont bleus, nous sommes verts. Cernés par une légion de Romains décidés à en découdre, ils m’évoquent Astérix et Obélix privés de potion magique. Piteux, ils obéissent à nos ordres. Un monsieur un peu fort, passablement énervé, donne de la voix et prend tacitement le contrôle des opérations.

    Notre régiment forme un essaim organisé autour des deux martyrs ferroviaires qui nous conduisent vers la base ennemie. On nous parque derrière des barrières, certains clients se mettent à bêler pour détendre l’atmosphère. Le guichet devient QG. Plus personne ne bouge. Il faut avoir le TGV suivant, coûte que coûte ! Les guichetiers ont tous déserté leur poste. Un employé se planque tel un sniper derrière une cloison mais n’échappe pas à la vigilance de notre colonel ventripotent. Une dizaine de minutes s’écoulent avant que des sbires ne s’interposent. Un semblant de hiérarchie se pointe avec l’abnégation des kamikazes, une poignée de billets en main. Là, un étrange phénomène se produit. La meute d’usagers fulminants se rue vers ces sésames comme mon chat sur sa gamelle de croquettes. Le bloc de solidarité s’évanouit. La fraternité n’aura guère duré.

    Munie de mon « titre-suite-rupture-de-correspondance » (un collector), je refais le chemin inverse avec quelques rescapés du camp de base. Un certain désordre règne dans la première classe où l’on a circonscrit les voyageurs rebelles pour mieux les contrôler. On commente cette sombre histoire. « Comprenez, à 180 € le billet. Sans compter que c’est monnaie courante sur cette ligne ! » ; « Nous faire cavaler avec un enfant de 15 mois… »

    Mon portable grogne. SMS de Franck, dont le TGV vient de percuter un chevreuil (paix à son âme). Trente minutes de retard. L’équipe qui gagne… Je me dis qu’avec son Opinel n° 10 lui, au moins, il peut s’offrir un carpaccio.

    A l’heure où j’écris ces lignes, mon TGV « accuse », dixit le contrôleur indécent, quinze minutes de retard. Le choix du verbe me laisse songeuse. Comme si l’agent robot se dédouanait en rejetant la faute sur son TGV traîne-savate. Cause invoquée : rupture de correspondance. J’hallucine ! Nous étions tous là avant le train ! Les rebelles ont bon dos. Morbleu, j’suis verte !

    © Catherine Levesque