Rubrique ‘Bonnes toiles’
Interview parue en novembre dernier dans la newsletter du Festival de Ménigoute.
« Je revendique le fait de raconter mes émotions »
• Comment avez-vous vécu la projection de votre film en avant-première, lors de la soirée de palmarès du Festival de Ménigoute ?
Ça a été un gros stress et beaucoup de doutes, mais malgré quelques soucis de son dus à un problème de pistes, le très bel engouement de la salle a été rassurant. D’expérience, depuis Vertige d’une rencontre*, je sais que c’est le public qui décide du succès d’un film. Et j’ai été conforté par l’accueil qui nous a été réservé au Festival du film de Sarlat, qui n’est pas une manifestation naturaliste. Au milieu des comédies et des films d’art et d’essai, nous avons reçu le Prix du meilleur film décerné par le Jury Jeune et raté de peu le Prix du public. C’est important pour moi en ce sens que je ne me considère pas comme un cinéaste animalier. Je revendique le fait de raconter mes émotions.• D’aucuns reprochent à votre film de ne montrer que très peu de loups !
Cette critique s’entend très bien. La presse semble elle aussi divisée sur ce point. On ne voit certes le loup qu’au bout d’une heure dans le film. C’est le prix à payer quand on filme des animaux sauvages dans leur milieu naturel. Avoir recours à des animaux imprégnés n’est pas ma tasse de thé. C’est une forme d’imposture qui casse la charge émotionnelle. Je préfère passer trois ans à chercher le loup dans une vallée quitte à ne pas avoir d’ultra gros plan. Pour moi, ça a du sens. Mais je ne juge pas pour autant les cinéastes qui procèdent différemment. Comme pour la polémique entre pro et anti-loups, j’essaie de prendre un maximum de hauteur par rapport à ça.• Le film Vertige d’une rencontre était déjà l’histoire d’une quête, celle de l’aigle royal. Comment est née celle du loup ?
Le tournage de Vertige… a représenté une vraie rupture par rapport à mes travaux précédents, qui étaient plutôt des films de voyage. Ça m’a déstabilisé financièrement, mais équilibré mentalement. C’était l’esquisse d’un film que je voulais plus abouti. J’ai d’abord envisagé une suite sur l’aigle, qui constituait un Graal quand j’étais enfant, vu que l’espèce était rarissime à l’époque dans les Alpes. Puis j’ai pensé au loup, encore plus inaccessible, et j’ai décidé de faire un film sur un animal que je ne verrais peut-être jamais… avec les difficultés que ça comporte pour trouver un producteur !• Que vous avez fini par trouver !
Le premier m’a vite lâché. J’ai démarré grâce au financement participatif sur Touscoprod. J’ai commencé à faire des images, que j’ai montrées au producteur Jean-Pierre Bailly. Il m’a demandé un temps de réflexion. Quand il y a cru, il a cherché de l’argent et m’a présenté l’équipe de Pathé ; après une heure cinq d’entretien avec Jérôme Seydoux, on a su qu’ils nous accompagnaient.• Avec un distributeur de cette envergure, avez-vous subi des contraintes ?
Je le craignais, mais ça n’a pas été le cas. J’ai eu trois bonnes surprises sur ce projet : j’ai trouvé l’argent pour le mener à bien, j’ai pu faire ce que je voulais… et j’ai pu voir les loups ! Il a été question un moment de recourir à un acteur connu pour le commentaire. Là encore, une autre option a été choisie : utiliser ma propre voix pour ne pas rompre l’intimité du film. Je pense sincèrement que les chaînes de télévision se montrent plus intrusives…• Qu’est-ce qui a été le plus compliqué au final ?
Le démarrage. La capacité à embarquer du monde dans cette aventure. Puis l’année entière durant laquelle je n’ai vu aucun loup, qui m’a fait beaucoup douter. Mais cette difficulté-là faisait partie d’un cheminement auquel j’adhérais depuis le départ.• Quel sera votre prochain film ?
De l’accueil du film à sa sortie dépendra mon avenir, ce qui est un peu angoissant ! Mais c’est déjà un pas énorme que d’avoir les premiers retours du public. Cette période de promotion est très grisante, alors que je pensais faire un « baby blues ». Je ferai d’autres films, oui, mais je ne sais pas lesquels…
Propos recueillis par Catherine Levesque.
* Sélection officielle Festival du Film ornithologique de Ménigoute 2010.
À lire, le livre (29 €) illustré par le photographe Bertrand Bodin et préfacé par Yves Paccalet, paru aux éditions La Salamandre.
Parcourez, vous aussi #LaValléeDesLoups et faites la rencontre de cet animal majestueux aujourd’hui au cinéma → https://t.co/1uYuc3jXunpic.twitter.com/iD3plMyEYw
— Pathé Films (@PatheFilms) 4 janvier 2017
Le tombeau du chat Zgougou d’Agnès Varda, émouvant hommage à la gent féline dans un lieu qui m’est très cher, Noirmoutier. À voir jusqu’au 8 janvier dans une cabane du jardin de la Fondation Cartier, à Paris, dans le cadre de l’exposition « Le Grand orchestre des animaux ».
Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, réalisateurs des Saisons, et une partie de l’équipe de tournage ont présenté leur film en avant-première à Tours, le 14 janvier dernier. Rencontre autour d’une œuvre magistrale, chronique audacieuse de l’Europe sauvage depuis 20 000 ans.
Au manteau de neige succède bien vite une épaisse forêt qui recouvre le continent européen. Le temps d’un prologue, l’enjeu climatique est levé dès le début du film : après 80 000 ans d’hiver, le cycle des saisons s’installe. On entend un pic, un coucou. On remarque la première trace subliminale de l’homme au travers d’une fontaine qui tiendra lieu de repère au fil des évolutions du paysage. Et quelles évolutions ! La prouesse des Saisons, c’est de parvenir à dépeindre en 1 h 35 les vingt mille ans de cohabitation qui vont suivre entre les hommes et les animaux, du point de vue de ces derniers.
Les animaux filmés au plus près
“Nous nous sommes entourés de conseillers scientifiques pour envisager les êtres vivants comme des personnages au sens littéral de donner un visage”, explique Jacques Perrin. De fait, toutes les espèces, y compris les micromammifères et le lucane cerf-volant, sont filmées au plus près pour susciter émotion et empathie. Cette proximité, outre le recours à l’imprégnation, a nécessité l’invention d’un prototype, Tobrouk, un engin capable de filmer la course des loups ou des chevaux en slalomant entre les arbres, au ras du sol ! À l’image, soutenue par la musique du fidèle Bruno Coulais et une bande son Dolby Atmos (malheureusement, toutes les salles ne sont pas équipées…), cela donne des scènes de poursuite et de prédation virtuoses d’une grande intensité dramatique, qui alternent avec des scènes tantôt tendres (le clin d’œil à Bambi, les couvées inexpérimentées), tantôt primesautières (les chouettes commères, la pie chapardeuse, la parade irrésistible des cincles plongeurs…)
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En attendant de voir la version ultra haute définition sur grand écran, un reportage de l’INA sur l’impressionnante fabrication des décors de ce chef-d’œuvre qu’est Playtime, « ovni » selon Truffaut. Un bel hommage pour ce réalisateur de génie qui fut ruiné, malgré son succès, par ce film, bijou sonore et visuel tourné en trois ans. Mon film préféré.
Le dernier long métrage de Pascale Ferran, Bird people, n’a rien d’animalier, mais le moineau joue une place cruciale dans la deuxième partie du film, qu’on ne saurait déflorer, mais qu’on recommande vivement pour la prouesse narrative et technique. Dès le début de l’histoire, des passereaux captent le regard des deux personnages principaux, l’un dans le RER, l’autre dans une scène sur Skype. Tous deux à saturation dans une vie faite de stress et de transports en commun éreintants, de mails et de coups de fil contraignants, ils s’échappent un instant en contemplant un oiseau qui fait irruption de manière insolite dans un cadre de leur quotidien, une fenêtre en l’occurrence. Le temps se suspend alors et l’on imagine leurs interrogations : que fait cet oiseau ? Que représente sa vie de piaf face à la mienne ? Serait-il au fond plus libre que moi ?
Pourquoi observe-t-on un oiseau ?
Bird people, conte aux confins du fantastique, pose un regard à la fois lucide et poétique sur notre société trop pressée, qu’il dépeint comme une juxtaposition de solitudes surexposées aux communications virtuelles.
La scène la plus poétique du film montre un artiste japonais en train de peindre dans sa chambre d’hôtel, attiré à son tour par l’intrusion du moineau sur le rebord de sa fenêtre. Un échange magique s’instaure alors entre les deux êtres…
Que recherche l’ornithologue lorsqu’il dirige sa paire de jumelles sur un volatile ? La quête d’un comportement à décrypter ? Une émotion esthétique ? Une espèce à identifier ? Une échappatoire ? Quelles que soient ses raisons, on peut supposer une fascination pour l’altérité, pour un être de chair et de sang si différent. Léger et vulnérable, mais capable de prouesses sans technologie.
Allez voir Bird people et vous n’observerez plus jamais un moineau de la même façon. Peut-être vous retournerez-vous aussi sur votre vie en prenant un peu de hauteur.
En dépit des frasques sentimentales de son Président qui, selon les camps, ternissent son image ou confirment la réputation sulfureuse des Français en matière de parades nuptiales, la France redevient un oiseau et fait « cocorico » ! Cocorico fin décembre avec le documentaire de Jacques Malaterre et Frédéric Fougea, Le Plus Beau pays du monde, qui a rencontré sur France 2 un véritable succès en prime time : 6 472 000 spectateurs, soit 23,4 % de parts d’audience. Cocorico en ce début d’année quand il fut question de défendre l’exception culturelle de son cinéma. « La France fait le choix assumé de soutenir un secteur d’excellence, facteur de rayonnement, créateur d’emplois, mais aussi de lien social entre les Français et de fierté de la France dans le monde », a déclaré Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, au sujet de la polémique sur le financement du cinéma de l’Hexagone.
Quand on se penche sur le cinéma français, on constate qu’il connaît des problématiques assez similaires à la biodiversité. Mondialement reconnu, envié et toujours menacé. Lancées il y a un an, les premières « Assises pour la diversité du cinéma français » ont fait l’objet d’un long rapport tout juste rendu public, sorte d’état des lieux à l’heure du numérique.
Comme la biodiversité, il confirme que la production et la diffusion cinématographiques doivent échapper aux lois ordinaires du libre-échange. Reste que l’équilibre se fissure dans un contexte de crise mondialisée. Que les chaînes de télévision, toujours plus nombreuses, continuent de bouder les films animaliers malgré leurs succès. Qu’il faut sans cesse se mobiliser pour sauvegarder une matière vivante indispensable parce qu’elle fait rêver et nous rend un peu plus grands.
C’est le sens du latin majusculus : un peu plus grand. Une impression que l’on ressent en plongeant dans Minuscule – La Vallée des fourmis perdues (voir l’article que j’ai écrit à ce sujet dans la nouvelle newsletter du Festival de Ménigoute). Ce film d’animation 3D tourné en décors réels revendique à l’écran, par petites touches subtiles, sa fabrication française. Et sans être patriote, il y a de quoi être fier, d’autant plus que son empreinte écologique a été maîtrisée. Les réalisateurs explorent un terrain vierge, tant du point de vue de la production, de la technique que du genre, ce qui explique une distribution à l’international dans plus de trente pays.
C’est aussi la vocation du Festival de Ménigoute, une manifestation atypique qui fêtera cette année ses 30 ans. Une année que je vous souhaite excellente. Une année pour voir un peu plus grand.