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Je ne pouvais pas faire autrement. Le ciel était bleu, sans une traînée de nuages, la mer haute, le soleil franc et le vent quasiment absent. Alors j’ai enfilé mes claquettes, descendu la côte jusqu’à la rue de la Mer, direction la Grande Plage. On ne se refuse rien. C’est la plage de mon enfance mais j’ai tendance à la bouder. Trop de monde. Je préfère le charme des criques de la Boutinardière, en contrebas du sentier des douaniers, en lisière de Pornic.
Pas question de se poser de question. J’entre dans l’eau sans hésiter. Elle est bonne. Quelques vagues me soulèvent et je nage tantôt dans un sens, vue sur la côte, les falaises au loin, tantôt dans l’autre, vue sur les voiliers de petite envergure. Ici, point de marina. Au large, Noirmoutier apparaît comme un mirage brouillé sur l’horizon. Tous ces souvenirs qui remontent à la surface de l’eau turbide, trop salée. Des paquets d’algues qui flottent, obstacles à la méditation.
Alors que je décide de regagner ma serviette, je prête attention à cet instant légèrement étourdissant où le ressac s’oppose à une fine lame d’eau en contresens. Les pieds, alors, s’enfoncent un peu dans le sable mouillé et je ressens un bref vertige en les observant, comme quand j’étais enfant, prisonnière des sédiments.
Les laisses de mer derrière soi, il faut ensuite retrouver sa place en cachant au mieux son bronzage agricole. C’est qu’on a l’impression que la plage entière vous regarde…
Pendant qu’une brise caressante sèche ma peau assaisonnée, je saisis des bribes de conversations portées par le vent ou la promiscuité. La plage est un espace hors du temps où les vacanciers, débarrassés de leurs oripeaux estivaux, perdent tout statut social. Tout au mieux reconnaît-on un père, une mère, des amoureux. Prompts à se calfeutrer derrière des clôtures le reste de l’année, les plagistes ont pour toute intimité un emplacement réduit au rectangle d’une serviette ou d’un abri Quechua. Mais où sont passés les parasols de ma jeunesse ?
Je n’ai pas suivi la ligne rose sur le trottoir. En bonne dissidente, j’ai suivi mon instinct. J’ai coupé par la rue Harouys, celle d’où retentit certains soirs le son des binious. J’ai rejoint le passage Pommeraye. Première étape chez Agnès Varda, qui y a reproduit la boutique de téléviseurs de Piccoli dans Une chambre en ville, de Jacques Demy, tourné en partie dans ce passage couvert hors du temps. Sur les écrans, des images d’archives des quais de la Loire à Nantes, des gens qui votent à Noirmoutier, des chalands et des passants… Trop de monde sur la place Royale, où trône un mont Gerbier-de-Jonc plus proche du mamelon que du dôme ardéchois. Et tellement vert synthétique. Alors j’emprunte la passerelle et je prends un grand bol d’air estuarien, celui qui qui vient de la mer. Ça tangue un peu et le palais de justice, en face, est aussi raide qu’elle. Et tellement noir. La structure métallique du bâtiment Manny m’attire comme un aimant. J’avoue traverser le Zebra Crossing sans m’en apercevoir. Si un panneau ne me l’avait pas soufflé, je n’aurais pas remarqué les globes jaunes « Belisha beacons ». Le magasin de design dans lequel je m’engouffre a remporté la mise. J’y repère une lampe Stark, Miss Sissi, modèle rouge. Je viens de craquer pour une sculpture lumineuse Akari (terme japonais utilisé pour exprimer la clarté ou la lumière), d’Isamu Noguchi. Mais on n’a jamais assez de lumière. Rendez-nous la lumière chante Dominique A. En ressortant de cet espace enchanteur, je m’arrête un instant. La façade chante, justement. Rolf Julius a voulu la rendre audible et ça marche. Il a fait « de la musique pour les yeux ».
Pendant ce temps, sur le toit de l’école d’archi, on joue au banaball, un sport hybride entre la balle au prisonnier et la pelote basque, où les chisteras se déguisent en banane. C’est l’un des dispositifs des Playgrounds, les JO décalés du Lieu unique. Cette grande banane allongée, on la repère depuis les bords de Loire, comme un clin d’œil au Velvet en haut de cette Factory qu’est l’Ensa. La vue est belle à 360° mais la température n’est pas à la hauteur. Le vent souffle. Je boude les transats lestés de sacs de sable et m’amuse à contempler la Tour Bretagne dans une lunette facétieuse qui la transforme en Empire State Building.
Passé l’Absence, un curieux café snack niché dans une œuvre pérenne d’Estuaire 2009, quelques timides expérimentent les installations éphémères du quai, Mille Plateaux : tables, bancs, hamacs, que l’on peut s’approprier le temps d’une sieste, d’un pique-nique ou d’un apéro… J’ai les pieds qui surchauffent. Je m’en retourne rive droite. La ville, c’est bien vrai, est renversée par l’art. Ce n’est que ma première exploration urbaine du Van. Et j’ai jusqu’au 19 août pour m’immerger dans ce foisonnement de créativité. « Transformer le splendide gaspillage de la vie dans la sublime économie de l’art » (Henry James, via Dominique A).