Rubrique ‘Bonnes têtes’
Je n’ai travaillé que deux fois avec Marion Poussier, dont quelques images défilent sur le carrousel de ce blog. Une fois dans la Sarthe, une fois en Bretagne (son territoire), pour un beau sujet sur le pop art rural de Nizon paru dans TGV mag. Je me souviens avoir regardé avec étonnement et intérêt ses premières photos « perso », dans le book qu’elle avait ouvert silencieusement sur son lit, dans une petite chambre d’hôtel de Quimperlé, si j’ai bonne mémoire. A l’époque, elle travaillait sur de vastes paysages où se perdaient des corps minuscules. Je savais qu’elle creuserait son sillon avec talent, modestie et engagement. Ensuite, il y a eu cette belle expo « J’y suis j’y vote », sur la question du droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. Et bien sûr son fameux travail sur les ados (Un été), repéré par Depardon, s’il vous plaît !
Qu’il s’agisse de commandes ou de séries personnelles, Marion a sa patte. Une belle patte que j’imagine être celle d’un chat, car elle est silencieuse. Une façon de cadrer, de saisir l’instant, assez exceptionnelle. Un grand talent pour les portraits. Des couleurs à elle aussi.
Demain, je verrai enfin une de ses expos au Palais de l’Institut de France (tant qu’à faire !), où elle a reçu l’an passé le prix de l’Académie des Beaux-Arts. Son travail, édité à nouveau chez Filigrane, concerne cette fois la famille et je vous laisse découvrir ses mots pour le présenter.
« La photo du mariage des parents est accrochée à un mur. Celles de la naissance des enfants, de leurs anniversaires, des vacances au bord de la mer, sont soigneusement classées dans les albums photo. Les moments ordinaires, eux, ne sont pas figés sur papier. Ils défilent et imprègnent la mémoire d’une manière inconsciente. Ils sont odeurs, sons, gestes ; flous et impalpables. Chaque membre d’une même famille en aura son propre souvenir, qu’il aura soin d’arranger pour recréer sa propre histoire.
En photographiant les détails infimes de la vie quotidienne, j’ai voulu donner une image à cet ordinaire, symptôme d’un temps, d’une société. J’ai observé avec distance le mouvement des corps dans l’espace cloisonné de la maison : tour à tour enchevêtrés puis à la recherche d’intimité et d’isolement.
Une question n’a cessé de me poursuivre au cours de ce travail : quelles empreintes ces moments vécus – parfois subis – au sein de la famille laissent-ils sur l’identité de chacun ? »
Dans le sac de Patricio Rojas San Martin, un exilé chilien, il y avait L’Etranger, de Camus. Ce sac vintage à l’effigie de la compagnie aérienne qui le transporta est suspendu au gigantesque échafaudage qui constitue un pan de l’exposition « Nantais venus d’ailleurs », présentée jusqu’au 6 novembre au Château de Nantes. Cet échafaudage symbolise la précarité des immigrés, dont la vie « ailleurs » s’apparente à un chantier en devenir. On y découvre successivement les différentes étapes de l’installation dans un nouveau pays. Et autant d’objets ordinaires, souvent usés, qui les ont accompagnés, entrecoupés de témoignages audiovisuels.
De l’autre côté, neuf trajectoires de vie, du Breton du début du XXe siècle au sans-papier africain d’aujourd’hui, en passant par l’Italien de l’Entre-deux-guerres ou le Kabyle algérien de la reconstruction… Pour ce faire, une collecte a été engagée dès 2008 auprès de Nantais d’origine étrangère, grâce auxquels nous faisons « de l’ailleurs, une part de nous-mêmes ».
La force de cette exposition didactique, outre sa sensibilité, c’est de retracer un pan important de l’histoire nantaise tout en la replaçant dans le contexte national, celui de l’histoire de l’immigration en France. Pourtant, la population étrangère nantaise est, dans les années 1990, inférieure à la moyenne française (3,9 % de la population contre 5,6 %). Si les arrivées sont en augmentation depuis une dizaine d’années, la tolérance demeure ici plus qu’ailleurs vis-à-vis de ceux qu’on décrit poliment comme « issus de la diversité ».
L’expo assume et revendique sa vocation citoyenne face au débat sur l’immigration qui ternit depuis quelques années l’image de notre pays. On frémit encore à la lecture d’une lettre de délation de 1940 contre une juive de la distillerie de Saint-Sébastien, qui « prend la place d’une Française », selon son auteur anonyme. En 2010, l’objectif du ministère de l’Immigration était de 28 000 reconduites à la frontière.
Légendes : Amulette bouddhiste. Valise en carton. Photo de familles grecques et arméniennes lors de fiançailles, à Nantes. © DR