Rubrique ‘Bonnes têtes’
Dans un précédent post, Des peintures sans dessein, je m’extasiais sur un beau livre au format peu ordinaire, Hyacinthe et Rose, un dialogue poétique, drôle et nostalgique entre 48 somptueux portraits de fleurs et celui de Hyacinthe et Rose à travers les yeux de leur petit-fils devenu adulte. Hier soir, c’est donc tout naturellement que je me suis rendue en bonne compagnie à la première de l’adaptation au théâtre de la Pépinière, qui donné carte blanche à François Morel pour une série de spectacles… jusqu’en juin prochain ! Au piano (on devrait plutôt dire aux instruments), l’épatant Antoine Sahler, allure de gamin, qui ajoute à la mise en scène sa graine de fantaisie. J’ai eu le sentiment qu’il y avait pas mal d’ajouts au texte que j’avais en mémoire. Il n’en est rien. « Au contraire, m’a confié François Morel, avec qui j’ai eu la chance de papoter lors du cocktail de l’AJJH, à l’issue de la pièce, j’ai retiré un chapitre ! »
A peu près sûre de moi, je lui ai aussi demandé s’il aimait les fleurs. « Je suis allergique, a-t-il souri, en faisant non de la tête, ça me donne de l’asthme ! » Désarmée, j’ai cru qu’il plaisantait. « Je ne suis pas spécialiste, vraiment. C’est juste un éditeur qui m’a mis en contact avec Martin Jarrie pour faire ce livre », a-t-il poursuivi, désignant l’illustrateur posté à ma gauche. D’ailleurs, nous préparons un nouveau livre ensemble. Ça sera sur les gens. Ça s’appellera La vie des gens. » Vies de peu, vies de pneu… pour reprendre un passage de Hyacinthe et Rose qui fait allusion à ces jardinières improvisées dans de vieilles chambres à air ! Vies minuscules comme celles des personnages des Deschamps, des Deschiens, qui surgissent parfois dans la pièce au détour d’une intonation.
Mon verre à la main, je lui ai posé une dernière question, façon Raphaël Mezrahi (de Troyes dans l’Aube). « Le cidre, c’est votre idée ? Je vois qu’il vient de l’Orne, comme vous. » Ben non, c’était pas lui.
Spéciale dédicace à feu mon père, qui aimait François Morel, le cidre et le jardinage.
Pour la supposée soirée de la fin du monde, avant-hier, nous nous offrons un bel apéritif au bar La Provence, près de la place Royale, à Nantes. Impossible d’acheter la moindre bouteille d’alcool dans la ville : un arrêté préfectoral l’interdit par crainte des débordements. Nathie m’explique sommairement : le grand manitou Facebook invite à une murge collective pour affronter la fin du monde sans douleur. Soit.
Sur le zinc (un vrai) de La Provence, je soudoie donc l’affable Jean-Luc (planqué derrière sa trancheuse à jambon) par quelques mots éclairés, désignant sur sa carte des vins « Les Noëls de Montbenaut ». Ce coteau-du-layon, il le vend 27 euros les 50 cl, mais vous comprenez, je ne veux pas boire tout ça, moi, alors juste un verre siouplaît. Il accepte, bonhomme. Et moi je le renifle, ce nectar dont la BD m’a fait rêver. Nez miellé, légèrement beurré, couleur dorée, une incroyable longueur en bouche qui vous tapisse le palais. Slurp.
Honte à moi, je n’ai pas retenu le millésime, enchaînant brutalement avec un verre de coteau-du-loir du domaine Nicolas, dont la saveur de pineau d’Aunis aurait fait tomber Hélène de son tabouret si elle avait été assise là. C’est toujours avec un plaisir non dissimulé que je bois du (bon) vin sarthois quand d’aucuns pensent que ça n’existe pas. Mais revenons à notre coteau-du-layon : j’ai supposé que c’était l’un des derniers qu’il avait produits, ce fameux Richard Leroy. D’après mes lectures, ce chantre de la biodynamie a cessé de faire des liquoreux pour s’affranchir totalement des sulfites, qu’il est impossible d’éviter sur ce type de vin. Voici ce qu’en dit la Revue du vin de France :
« De son vignoble de poche (2,7 ha sur des schistes gréseux et rhyolites), Richard Leroy sélectionne comme un orpailleur ses raisins (en culture bio) et produit de grands secs, qu’il élève méticuleusement en barriques dans un garage reconverti en cave. Tous les fous du cépage chenin suivent avec passion cette excitante production. Depuis 2008 les vins ne sont plus produits en appellation anjou mais en vin de table. »
« A l’Hôtel Amour, le silence se partage, il fait la cour
Je pars pour Tokyo
Dans ma tête, il y a un passage
Un vide confortable
L’Hôtel Amour
Des secrets fissurés volent au-dessus des tables
Le temps prend le train
Un arrêt sur chaque visage
Je suis de passage
A L’hôtel Amour
Le silence dévoile l’intime au grand jour
Un jour idéal
Un lieu de passage
Un vide confortable
L’Hôtel Amour »
Ariane Moffatt (extrait de l’album MA, un concept japonais justement)
* L’insula est une zone du cortex cérébral aux fonctions encore obscures, dont Jean-Claude Ameisen parle fort bien…
C’était une carte postale qui la faisait beaucoup rire et qu’elle conservait parmi d’autres grigris, posés sur sa coiffeuse. L’exercice est périlleux, peut-être impudique, mais Fred lisait parfois mon blog et y trouvait un certain plaisir. Comme elle avait plaisir à ressortir cette carte de Plonk & Replonk – « Grève des patrons-coiffeurs » – que je lui avais envoyée il y a quelques mois. Alors je me risque à cette épitaphe bavarde et virtuelle. C’était une étrange amitié que nous avions tissée là. Un rendez-vous capillaire environ tous les deux mois, à Paris, quand j’y vivais et même après. Mon entourage se moquait parfois. Allez chez le coiffeur à Paris quand on vit en Touraine, même en rase campagne, ça fait snob. N’empêche que j’ai toujours été moins bien coiffée ailleurs. Les rares infidélités provinciales, elle les voyait, mais jamais elle n’aurait critiqué ma coiffure de Playmobil, elle, la Nantaise et fière de l’être. Je n’y allais pas que pour son coup de ciseaux virtuose. On riait beaucoup, en général. Elle virevoltait autour de votre crâne avec la maîtrise d’un chef teppanyaki autour d’un volcan d’oignons. J’en oubliais qu’elle était en train de me coiffer. Vingt ans comme ça, à ne pas voir nos âges défiler, à partager nos bonheurs et nos maux, elle des ciseaux dans la main, moi les cheveux en bataille. Quand j’y songe, on a passé plus de temps à se parler devant une glace qu’à se regarder en face. Peut-être qu’au fond, cette singularité spéculaire a scellé notre complicité. Quand j’imagine Fred, je la vois dans la glace, une surface polie comme elle savait l’être avec ses clients, lumineuse comme son regard espiègle. De la réflexion, une classe naturelle, une spontanéité désarmante. Elle s’est suffisamment occupée de ma tête pour y avoir sa place. Elle est là, blottie dans un petit coin, évidemment souriante. Mon père et ma grand-tante lui ont fait un peu d’espace. Ce sont mes morts, incroyablement vivants. Incroyablement rassurants.
Photo : chevelure d’oyats sur la plage du Donnant, à Belle-Ile (pour Frédérique, dans un ciel forcément bleu).
Dans le numéro d’été de Tour(s)plus le mag, mon article sur le Centre de ressource pour la cognition (CRC), qui propose une méthode pour entretenir le cerveau par des activités de loisirs (page 10). Ce numéro est téléchargeable en PDF sur le site de l’agglo.
Il y en a qui connaissent les coins à champignons. Gilles connaît les places des vipères péliades. Oui, on dit une place dans le jargon naturaliste. Comme une station quand il s’agit de plantes… ou de métro.
On a emprunté un petit sentier de rando plutôt raide, à Milin ar Lann, jusqu’à une lande superbe où bourdonnaient quelques insectes. « Là, on cherche », a dit Gilles, volontiers laconique, alors on a cherché. Moi, bien sûr, je n’ai rien trouvé, que dalle, hormis un minuscule lézard vivipare. Gilles, il a retrouvé sans mal quelques-unes des vipères déjà repérées le matin. Parce que Gilles, oui, va voir ses vipères deux fois par jour, le week-end. C’est sa posologie.
Si on lui demande pourquoi cette passion, il répond : « Probablement pour les mêmes raisons qui font que la plupart des gens les redoutent ». Voilà. Pourquoi chercher à comprendre l’incompréhensible ? Certains collectionnent bien les taille-crayons. Pire, on leur donne un nom : les molubdotémophiles. Gilles, c’est moins grave. Il est juste herpétologue. Mais ça peut faire mal. Un jour il s’est fait mordre. » C’est parce que je l’ai manipulée… Le seul coupable, c’était moi. Pour éviter tout accident, portez des bottes et laissez-les tranquilles ! » Pas de souci : j’aime les regarder, tant elles passent inaperçues à mes yeux de prosélyte, mais il ne me viendrait pas à l’idée d’y toucher. Celles qu’on observe ce jour-là sont en mue : elles ont les yeux bleus et vitreux, alors qu’ils sont rouges d’ordinaire. Dès que je m’approche trop, elles disparaissent et leur reptation silencieuse me captive autant que le vol d’un oiseau.
Au départ, Gilles s’amusait à les compter. Encouragé par un scientifique, il a décidé de les suivre individuellement depuis 2000. Il a délimité un petit territoire à dix minutes en vélo de l’Ile Grande : 600 mètres de haies et de talus dont il fait le tour en moins de deux heures, une cinquantaine de fois par an, pour les “photo-capturer”. « Contrairement à la vipère aspic, qui présente la même taille d’écailles sur le corps et sur la tête, la vipère péliade a trois plaques céphaliques plus grosses sur la tête. Je photographie ce détail et le zigzag qui commence sur la nuque, différents selon les individus. » On en compte plus de 300 au catalogue : des blondes, des brunes, des rousses… Certaines, il peut le prouver, affichent au moins treize ans au compteur !
Moi, je connaissais la boule de flipper. Corynne Charby peut aller se rhabiller. Gilles, lui, préfère les “boule de vipères”. Âmes sensibles, s’abstenir ! « Plusieurs mâles tentent parfois de s’accoupler avec la même femelle (ben tiens, NDLR). Il peut aussi s’agir d’individus qui profitent d’une même place d’insolation. » Là où je vois une partie fine de reptiles aux mœurs débridées, Gilles évoque « un regroupement écologique ». Et de citer le cas de ces femelles qui se réchauffaient ensemble, accélérant ainsi la maturation de leurs embryons. Il en sait des choses, Gilles.
Photo © Gilles Bentz.