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    1972. La plupart des œuvres Aborigènes* exposées jusqu’à aujourd’hui au musée du Quai Branly ont mon âge. Ceux qui les ont peintes ont des noms impossibles à mémoriser pour les Occidentaux que nous sommes – Mick Namarari Tjapaltjarri, Kaapa Tjampitjinpa, Timmy Payungka Tjapangati… – et il faut s’y prendre à plusieurs fois ne serait-ce que pour les coucher sur le papier.

    Mon intérêt pour cet art fascinant remonte à un reportage en Australie, un an avant les JO de Sydney. En Terre d’Arnhem, j’ai observé avec un vif intérêt les peintures pariétales représentant chasseurs et kangourous sur la roche ocre. Accrochée au manteau de ma cheminée, je conserve une œuvre délicate achetée dans une galerie d’Alice Springs (un chasseur de kangourou, justement) et un minuscule bocal de sable rouge ramassé dans le désert du Centre. Je m’aperçois aujourd’hui qu’il s’agissait peut-être d’un vol odieux aux yeux des habitants de ces terres hostiles et envoûtantes. La terre et le ciel se confondent dans leur paysage mental et le point de vue qu’ils adoptent lorsqu’ils peignent est d’ailleurs celui d’un oiseau. Loin des estampes japonaises qui flattent aussi ma pupille, point de ligne d’horizon, d’échelle, de perspective ni d’orientation. Mais des signes.

    Au début des années 1970, quand les Aborigènes virent leurs légitimes aspirations reconnues, un professeur d’art, Geoffrey Bardon, a encouragé la communauté de Papunya (un centre de « sédentarisation » créé par l’État australien) à s’inspirer des motifs traditionnels hérités de ses ancêtres. Comme il s’agissait de signes, ils le surnommèrent M. Patterns (M. Motifs !). Un mouvement fondateur était né dans cette coopérative : les Aborigènes ne dessinaient plus sur le sol, les écorces ou les corps dans le cadre strict de cérémonies, mais sur de petites surfaces de bois aggloméré, à l’acrylique.

    Il est amusant de voir nombre de visiteurs s’approcher de certains tableaux, comme aspirés par les milliers de points blancs hypnotiques formant des courbes indéchiffrables à nos yeux. Même avec les clés livrées par les anthropologues, interprétrer ces « lignes de chansons », ce réseau de symboles et de cercles concentriques, tout comme la notion mythologique de Temps du rêve (Dreaming), demeure un exercice mental complexe. J’ai appris dans cette exposition que ces petits points représentent parfois la bourre de coton que les Aborigènes utilisaient pour souligner les contours des dessins réalisés au sol. Il peut aussi s’agir de végétation, d’éléments topographiques…

    Il y a une autre explication à cette sémantique inaccessible : il fallut trouver un moyen de coder des images au caractère sacré dès lors qu’un public non autorisé était susceptible d’y avoir accès. Ce paradoxe est illustré dans le musée par un espace clos où sont présentées une vingtaine d’œuvres dont la vue est interdite aux femmes et aux enfants Aborigènes.

    La superposition de ces motifs aux pointillés est parfois si bien maîtrisée qu’elle offre des effets optiques magistraux, notamment sur les quelques toiles géantes présentées en fin d’exposition.

    Le succès de cette exposition, dont le catalogue est malheureusement définitivement épuisé, confirme l’intérêt des Occidentaux pour cette grammaire picturale fondée sur une culture multimillénaire. Besoin de Terre, besoin de Mystère, besoin de Sacré.

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    * A la demande des Aborigènes, précise le musée, ce terme est écrit systématiquement avec une capitale même lorsqu’il s’agit d’un adjectif, contrairement aux règles du code typographique !

    Légende : Le Rêve du serpent. Auteur de l’œuvre :  Warlimpirrnga Tjapaltjarri. Fin du 20e siècle. Pigments acryliques sur toile (151,7 x 123 x 2,5 cm, 5400 g). Territoire du Nord (Australie). Groupe Pintupi, communuaté de Papunya. Ce rêve est associé au cycle secret Tingari. « Les Tingari sont des personnages mythiques du Temps du Rêve qui voyagent dans de vastes étendues du pays, en organisant des rituels et en créant des sites. Les hommes Tingari sont, en général, suivis des femmes Tingari et accompagnés par les novices. Leurs aventures sont relatées dans des chants cérémoniels. Ces mythologies font partie des enseignements actuels des jeunes initiés et donnent des informations sur les rituels contemporains. » F. Dussart
    © Musée du Quai Branly, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado © ADAGP, Paris 2012